Le devoir de protection de l’employeur

juillet 3, 2023

3 juillet 2023

Dans le cadre des relations de travail, l’employeur a le devoir de protéger et respecter la personnalité de ses employés, devoir dont les contours sont définis à l’art. 328 du Code des obligations (CO). La personnalité recouvre l’ensemble des valeurs essentielles physiques, affectives et sociales liées à la personne humaine, parmi lesquelles on peut compter l’intégrité physique et psychique, la dignité, le respect de la vie privée et familiale ainsi que l’honneur personnel et professionnel (CR CO – LEMPEN, art. 328, N1). Dans ce contexte, la protection de la personnalité est ainsi érigée en obligation contractuelle, qui impose à l’employeur non seulement un devoir d’abstention, à l’instar de l’art. 28 CC, mais également un devoir de protection contre les atteintes pouvant émaner d’autres membres du personnel ou de tiers. L’employeur est en particulier tenu de prévenir les accidents, d’éviter le surmenage, de gérer les situations de conflits ou de harcèlement et d’avoir des égards particuliers pour certaines catégories du personnel (CR CO – LEMPEN, art. 328, N3).

Ainsi, en cas d’atteinte à la personnalité de son employé, l’employeur est susceptible d’engager sa responsabilité contractuelle, s’il omet de prendre les mesures qui s’imposent pour protéger son personnel d’atteintes telles que celles décrites ci-dessus (CR CO – LEMPEN, art. 328 N 7). A noter toutefois, que même en ayant fait preuve de la diligence requise à cet égard, l’employeur répondra néanmoins des atteintes à la personnalité commises par ses auxiliaires (art. 101 CO).

Il est donc indispensable pour l’employeur de prendre les mesures nécessaires (art. 328 al. 2 CO) afin de protéger efficacement la vie, la santé et l’intégrité personnelle du travailleur.

a) Mesures de protection de la santé

Concernant les mesures de protection de la santé qui s’imposent aux employeurs, le Tribunal fédéral admet l’existence d’un devoir de protection uniforme en droit privé et public (ATF 132 III 257, consid. 5.4, 5.4.5 ; CR CO – LEMPEN, art. 328 N 4). Partant, l’employeur sera bien avisé de suivre les recommandations fondées sur la médecine et les sciences du travail ainsi que sur l’art. 6 de la Loi sur le travail (LTr) et ses textes d’application, notamment sur l’Ordonnance 3 relative à la protection de la santé (OLT 3), ainsi que sur la Loi sur l’assurance accidents (LAA), qui constituent la base de la protection de la santé sur le lieu de travail, pour identifier les mesures exigées en fonction des atteintes que l’on entend éviter (CR CO – LEMPEN, art. 328 N 5).

Ainsi, l’art. 6 LTr dispose que pour protéger la santé des travailleurs, l’employeur est tenu de prendre toutes les mesures dont l’expérience a démontré la nécessité, que l’état de la technique permet d’appliquer et qui sont adaptées aux conditions d’exploitation de l’entreprise. Il doit en outre prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger l’intégrité personnelle des travailleurs. Par ailleurs, tant la santé physique que psychique des employés doivent être protégées, de sorte que l’employeur doit notamment aménager ses installations et régler la marche du travail de manière à préserver autant que possible les travailleurs et travailleuses des dangers menaçant leur santé et du surmenage.

A cet égard, le Tribunal fédéral estime que l’employeur doit rendre attentif les membres de son personnel « à tous les risques inhérents au travail » et les instruire sur la façon de les prévenir (arrêt du Tribunal fédéral, 4A_21/2016, consid. 3.2).

Outre les accidents qui peuvent survenir sur le lieu de travail, et qui constituent des risques évidents pour la personnalité et la santé des travailleurs, la protection de la santé au travail englobe également d’autres risques, qui ont trait à divers domaines, notamment (directive CFST 6508, directive MSST) :

  • L’ergonomie : les postes de travail de bureau en particulier exigent d’être assis pendant de longues heures, ce qui implique de s’équiper de postes de travail, de bureaux et de chaises adaptés.
  • Le bruit : les bruits perturbateurs et la distraction par l’environnement doivent être réduits dans la mesure du possible par des mesures organisationnelles adéquates, dès lors qu’ils peuvent être une source de stress et de distraction.
  • Les risques psychosociaux : stress, burn-out, mobbing et harcèlement sexuel peuvent nuire gravement à la santé tant physique que psychique des employés et peuvent être engendrés par une mauvaise ambiance au travail, une organisation du travail laissant à désirer, des postes de travail mal agencés, le surmenage ou la pression.

Face à de tels risques, la mise en place de mesures organisationnelles s’impose à l’employeur. Dites mesures sont en grande partie définies de manière plus concrète dans l’OLT 3 et l’OLT 4 ainsi que dans les commentaires du Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO), qui ont valeur de directives selon le Tribunal fédéral (arrêt du Tribunal fédéral, 2C_462/2011 du 9 mai 2012, consid. 4.2). Si l’employeur se conforme aux directives en matière de protection de la santé, il est présumé avoir satisfait à ses obligations dans ce domaine. La nature de ces mesures variant en fonction notamment de la taille de l’entreprise et de la nature de ses activités, il n’est toutefois pas possible de dresser de façon générale une liste des démarches exigées pour protéger la personnalité des travailleurs.

Cela étant dit, la directive relative à l’appel des Médecins du travail et autres Spécialistes de la Sécurité au Travail (directive CFST 6508, directive MSST) établie par la Commission fédérale de coordination pour la sécurité au travail (CFST), présente les obligations de l’employeur en matière de sécurité au travail et de protection de la santé et fournit de nombreuses pistes utiles afin de mettre en place un système de sécurité adapté aux besoins de chaque entreprise. En substance, la CFST identifie les éléments suivants comme étant essentiels pour garantir des emplois sûrs et protéger ainsi la personnalité des employés de manière efficace :

  • L’engagement clair, de la part de la direction de l’entreprise, en faveur de la sécurité au travail et de la protection de la santé et une déclaration de principe selon laquelle l’entreprise ne tolère pas les atteintes à l’intégrité personnelles (harcèlement sexuel, mobbing, discrimination, etc.). A cet égard, l’employeur est tenu de formuler des objectifs impératifs en matière de sécurité et de santé au travail dans des principes directeurs de sécurité, pouvant par exemple être formalisés dans le cadre de règlements internes de l’entreprise.
  • La désignation formelle d’une personne en charge de la sécurité pour l’entreprise, cas échéant pour chacun de ses sites. Celle-ci s’occupera principalement de la coordination interne, veillera au respect des mesures développées et formera ses collaborateurs à ce sujet. Plus précisément, la personne désignée sera chargée d’évaluer les risques inhérents à l’activité de l’entreprise. Pour ce faire, elle pourra notamment faire appel à un spécialiste de la sécurité au travail, tel qu’un médecin du travail ou un ingénieur de la sécurité. Elle établira ensuite un rapport d’observations faisant état des risques identifiés et des mesures de prévention et de sécurité proposées.
  • Elaboration et adoption de directives claires et concises en matière de santé et sécurité au travail, sur la base des risques identifiés par la personne désignée à cet effet.
  • Planification et réalisation des mesures déterminées en fonction des risques identifiés.
  • Elaboration d’un plan en cas d’urgence, avec les numéros importants et les coordonnées des services de secours et des médecins et la constitution du matériel de premiers secours (trousse de secours). En outre, suffisamment de personnes doivent avoir reçu une formation aux premiers secours, et leurs connaissances doivent être tenues à jour.
  • Formation, instruction et information du personnel. L’employeur doit d’abord s’assurer que les employés ont été correctement sensibilisés aux risques identifiés et qu’une définition claire des notions pertinentes, telles que le harcèlement sexuel ou morale, aussi appelé mobbing, leur a été fournie. Il convient en outre d’informer les employés sur le procédé à suivre au cas où l’un de ces risques se réaliserait ainsi que sur les sanctions encourues et de les former en lien avec les directives adoptées en matière de santé et sécurité au travail et le plan établi en cas d’urgence.

Il est recommandé d’organiser des formations en matière de sécurité au travail au moins une fois par an. Pour ce faire, l’employeur peut se tourner vers diverses associations professionnelles ou prestataires privés du domaine de la sécurité au travail et de la protection de la santé, qui proposent notamment des formations à l’attention non seulement des employeurs, mais également des travailleurs.

Une telle formation pourra être formalisée par la signature d’un document, tant par l’employeur que l’employé, attestant de la dispense de dite formation, respectivement de la participation à cette dernière.

– Participation des employés à l’analyse des risques et des contraintes. Dès lors que la loi impose à l’employeur d’informer et de consulter les travailleurs sur les questions relatives à la protection de la santé (Art. 48 al. 1 let. a LTr), il est nécessaire de les inclure dans l’élaboration des directives ou du règlement interne en matière de protection de la santé. Ceci facilite généralement l’acceptation et le respect des règles adoptées.

– Contrôle et audit du système mis en place en matière de sécurité et santé au travail. Il convient en effet de réitérer le processus décrit ci-dessus à intervalles réguliers – une fois par année au moins – afin de vérifier le respect et l’efficacité des directives, des mesures techniques et organisationnelles mises en place et de s’assurer que ces dernières sont encore pertinentes et répondent toujours aux besoins de l’entreprise.

b) Personne de confiance et gestion des conflits internes

L’employeur a l’obligation, selon les art. 328 CO et 6 LTr, de faire en sorte que l’atmosphère au travail soit exempte de violence et de harcèlement, et de prévenir précisément les conflits et le harcèlement psychologie ou sexuel. En sus des mesures mentionnées au chapitre précédent, il convient pour l’employeur de désigner une personne de confiance, hors hiérarchie, à laquelle les membres du personnel puissent se confier en toute confidentialité. Le Tribunal fédéral se rallie aux opinions du SECO (commentaire à l’art. 2 OLT 3) et de la doctrine, qui préconisent cette mesure, et estime qu’il n’est pas disproportionné d’imposer à une entreprise occupant moins de dix personnes de désigner une telle personne, dans ou à l’extérieur de l’entreprise, et d’en informer son personnel. L’employeur peut cependant choisir de ne pas se conformer à ce standard, mais devra démontrer la mise en place d’un « système de gestion des conflits équivalent qui assure le même niveau de protection » (arrêt du Tribunal fédéral 2C_462/2011 du 9 mai 2012, consid. 5.3). On pourrait à ce propos imaginer s’adresser à une association professionnelle afin de mettre en place un système commun, tel qu’un Groupe de confiance, pour l’ensemble d’un secteur d’activité, à moins que les employés n’aient déjà la possibilité de faire appel à une structure existante (CR CO – LEMPEN, art. 328 N 36).

Par ailleurs, en cas de conflit et en particulier lorsque la personnalité d’un employé est atteinte, l’employeur doit agir sans tarder afin de remédier à la situation (ATF 127 III 351, consid. 4b/dd). Diverses possibilités s’offrent alors à l’employeur en fonction des circonstances, tels que le fait de séparer les personnes impliquées ou la mise en place d’une procédure de médiation pour tenter d’aplanir le différend (CR CO – LEMPEN, art. 328 N 38).

L’employeur veillera à ne pas prendre de mesures susceptibles de désavantager l’employé atteint dans sa personnalité et de péjorer ses conditions de travail. Ainsi, le Tribunal fédéral a estimé, à plusieurs occasions, qu’était constitutif d’un licenciement abusif, le licenciement d’un employé, victime de harcèlement, après que son employeur a longtemps toléré cette situation en violation de son devoir de protection, au motif que l’employé ne serait plus assez performant ou serait devenue agressive (CR CO – LEMPEN, art. 328 N 39 ; ATF 125 III 70, consid. 2a ; arrêt du Tribunal fédéral 4A_166/2018, consid. 3.2). De même, la Cour d’appel civile du Tribunal cantonal vaudois a récemment estimé qu’un employeur ayant violé son obligation de protection au sens de l’art. 328 CO ne pouvait se prévaloir des conséquences de cette violation (en l’espèce, de ce que l’employée en question ait injurié l’employeur au su de ses collègues) pour justifier la résiliation immédiate du contrat de travail de l’employé concerné (Arrêt de la Cour d’appel civile du Tribunal cantonal vaudois HC/2023/45 du 16 février 2023, consid. 3.2.2 ; pour un commentaire détaillé de cet arrêt, voir EHRENSTRÖM, « Injurier l’employeur sur WhatsApp : licenciement immédiat ? » disponible à l’adresse suivante : https://droitdutravailensuisse.com/2023/03/19/injurier-lemployeur-sur-whatsapp-licenciement-immediat/).

En tout état, en présence de soupçons ou d’accusation de harcèlement, l’employeur doit impérativement élucider les faits et entendre séparément la personne harcelée et celle mise en cause. Selon les circonstances, l’ouverture d’une enquête interne, avec l’intervention de tiers éventuellement, peut même s’imposer (CR CO – LEMPEN, art. 328 N 40).

Les recommandations qui précèdent doivent bien entendu être adaptées, non seulement à la taille de l’entreprise en question, mais également à son secteur d’activité et à ses moyens. Cela ne dispense pour autant aucun employeur de son devoir de protection de la personnalité de ses employés, qui doit être central dans l’organisation interne de l’entreprise.  

Kevin Guillet  et Eugenia Marchetti